15 Février 2013

Hauteur des vagues : JASON 2 mesure un nouveau record du monde !

Dans une étude publiée en décembre 2012 dans le Bulletin of American Meteorological Society , une équipe internationale (Ifremer, Université du New Hampshire, NOAA, CLS, SHOM, Université des Açores et IPGP) a mis en évidence un nouveau record des plus hautes vagues jamais mesurées dans l'océan.... C'est la tempête Quirin, survenue en février 2011 dans l'Atlantique nord, qui l'emporte avec 20,1 m !
Les vagues géantes de la tempête Quirin ont été mesurées par un altimètre radar du satellite Jason 2 opéré par le CNES, EUMETSAT, la NASA et la NOAA. La valeur de 20,1 m enregistrée le 14 février 2011 est la plus forte "hauteur significative" mesurée par un altimètre depuis le début de ce type de mesures à la fin des années 1980. Cette "hauteur significative" est une moyenne des hauteurs des vagues.

Bien que ce radar ne puisse pas mesurer la hauteur des vagues une par une, les statistiques des hauteurs de vagues suggèrent que la plus haute vague de Quirin mesurait probablement plus de 36 m de haut, autant qu'un immeuble de 12 étages ! Des vagues plus hautes ont probablement déjà existé, mais elles n'ont pas encore pu être mesurées au milieu de l'océan.

Hauteurs ... et périodes

Les radars embarqués sur les satellites n'ont pas été conçus pour mesurer des hauteurs aussi impressionnantes, ces mesures sont-elles correctes ? Les vagues très hautes doivent avoir de très longues périodes, or ces périodes ne changent pas beaucoup quand les vagues se dispersent sous forme de houle sur tout l'océan. Les houles qui ont atteint toutes les côtes européennes entre le 15 et le 16 février 2011 avaient effectivement des périodes record, jusqu'à 25 secondes enregistrées au nord de l'Irlande, alors que 18 secondes est déjà exceptionnel. Les mesures du satellite Jason-2 sont donc crédibles.

Avec de si grandes périodes, l'amplification de la hauteur de la houle par la topographie du fond marin est exacerbée, et peut être importante au large, même par 200 m de fond. Les houles longues sont aussi à l'origine de fortes oscillations du niveau de la mer dans les bassins portuaires, un phénomène connu sous le nom de seiche. Ainsi la tempête Quirin a permis au surfeur français Benjamin Sanchis de remporter en 2011 le prix "Billabong XXL" de la plus grosse vague surfée dans le monde. Son exploit du 16 février a eu lieu alors que les plus grosses vagues étaient déjà passées dans la nuit du 15 au 16. Cette nuit là, le port de Royan a subi d'importants dommages à cause de la seiche provoquée par cette même houle.

Comment de si hautes et longues vagues sont-elles possibles ?

Les vagues sont générées par le vent, et le vent est plus fort près du cœur des dépressions. Toutefois, alors que les vents les plus forts se trouvent dans les ouragans, les plus fortes vagues elles, ne s'y trouvent pas... La raison en est assez simple : les vagues se propagent et il faut que les vents forts suivent cette propagation pour continuer à les amplifier.

Ainsi, l'analyse de la tempête Quirin montre que, comme pour ses cousines, les très fortes hauteurs sont rendues possibles par le déplacement de la dépression à la même vitesse que les vagues. Cet effet est bien reproduit par la modélisation numérique.

Il subsiste toutefois une incertitude : les prévisions des vitesses du vent sont très difficiles à vérifier dès que les 50 nœuds sont dépassés. Les satellites utilisés habituellement pour mesurer le vent par une technique "diffusiométrique" sont assez peu sensibles à des variations de vitesse au delà de 50 nœuds. D'autres techniques ont été proposées, mais leur fiabilité reste à vérifier. Il n'est donc pas étonnant que les estimations de la vitesse du vent varient fortement entre les différents centres de prévision météorologique.

Une recrudescence des tempêtes du même type que Quirin ?

Depuis plus d'un siècle, les scientifiques ont identifié les vagues en mer comme la source du "bruit de fond sismique" enregistré partout à la surface de la terre. L'analyse de la tempête Quirin fut l'occasion de réaliser la première étude complète du bruit sismique associé à une telle tempête, en utilisant toutes les stations sismiques, des Açores à la Norvège. Ainsi, les chercheurs du laboratoire d'Océanographie Spatiale de l'Ifremer ont montré que le niveau de bruit aux grandes périodes était lui aussi exceptionnel.

En s'appuyant sur les mesures sismiques, il est donc possible de remonter le temps et d'étudier le climat des houles avant les années 90, quand aucun satellite ne mesurait encore les vagues et que peu de bouées en mer étaient en place.

Mais la série continue de mesures fournie par les altimètres depuis 20 ans n'est pas suffisante pour identifier une possible tendance à la hausse de la fréquence de tels évènements extrêmes. En effet les altimètres ne mesurent que la hauteur des vagues et ce seulement à la verticale du satellite qui les porte, ignorant de grandes étendues d'océan entre deux traces. Les bouées et les sismographes peuvent remplir ces "trous" car ils permettent de mesurer la période des vagues, qui est cohérente sur de grandes distances.

Prise de quart en orbite

La capacité des satellites à mesurer la période des vagues en même temps que leur hauteur devrait être fortement augmentée avec l'amélioration des techniques d'analyse d'images radar pour les futures mission spatiales Sentinel 1A et 1B de l'Agence Spatiale Européenne. Par ailleurs, SWIM, un nouveau type de radar encore jamais mis en orbite, sera embarqué sur le satellite Sino-Français CFOSAT. Ces nouveaux capteurs vont ainsi élargir considérablement les capacités actuelles et permettre une meilleure prévision des vagues en mer.

Références de l'article

Jennifer A. Hanafin1, Yves Quilfen1, Fabrice Ardhuin1, Joseph Sienkiewicz2, Pierre Queffeulou1, Mathias Obrebski1, Bertrand Chapron1, Nicolas Reul1, Fabrice Collard3, David Corman4, Eduardo B. de Azevedo5, Doug Vandemark6, and Eleonore Stutzmann7, Phenomenal Sea States and Swell from a NorthAtlantic Storm in February 2011, a comprehensive analysis, Bulletin of American Meteorological Society, 2013.

1 Laboratoire d’Océanographie Spatiale, Plouzané, France
2
NOAA/NWS/NCEP/Ocean Prediction Center, Camp Springs, Maryland;
3
Collard—CLS-Brest, Brest Technopole, Plouzané, France;
4
Service Hydrographique et Océanographique de la Marine, Brest, France;
5
Universidade dos Açores, CLIMAAT/MacSIMAR, Angra do Heroísmo, Azores, Portugal;
6
Coastal Ocean Observing Center, University of New Hampshire, Durham, New Hampshire;
7 Departement de Sismologie, Institut de Physique du Globe de Paris, Sorbonne Paris-Cité, Paris, France

Contacts

 

Voir aussi

Published in: